Citation de l'article : H. Ben Abdallah, « Le TAS, la jurisprudence et le pluralisme juridique », Collection Doc Publication, Les Editions de l’Immatériel, 2018, pp. 46-53.
Résumé :
Le TAS (Tribunal arbitral du sport) rend des sentences qui, grâce à la pratique du précédent, acquièrent la cohérence nécessaire à la formation d’une jurisprudence. Grâce à celle-ci, le TAS contribue à l’édification d’un ordre juridique sportif global et autonome, et ce à travers un double apport, normatif et structurant. D’abord, les règles prétoriennes produites par les arbitres constituent une source de droit à l’intérieur de l’ordre juridique sportif et un facteur de son autonomie. Ensuite, l’application de ces règles à l’ensemble de la communauté sportives favorise la cohérence du système.
Le TAS (Tribunal arbitral du sport) rend des sentences qui, grâce à la pratique du précédent, acquièrent la cohérence nécessaire à la formation d’une jurisprudence. Grâce à celle-ci, le TAS contribue à l’édification d’un ordre juridique sportif global et autonome, et ce à travers un double apport, normatif et structurant. D’abord, les règles prétoriennes produites par les arbitres constituent une source de droit à l’intérieur de l’ordre juridique sportif et un facteur de son autonomie. Ensuite, l’application de ces règles à l’ensemble de la communauté sportives favorise la cohérence du système.
Abstract :
The CAS (Court of arbitration for sport), passes sentences which, thanks to the practice of the precedent, get enough coherence to constitute a jurisprudence. Through this jurisprudence, CAS contributes in the erection of a global and autonomous sports legal order. This support is the result of a double contribution, normative as well as structuring. First, the pretorian rules generated by CAS constitute a source of law within the sports legal order and a factor of his autonomy. Thereafter, the application of this rules for the whole sport community promotes the coherence of the system.
The CAS (Court of arbitration for sport), passes sentences which, thanks to the practice of the precedent, get enough coherence to constitute a jurisprudence. Through this jurisprudence, CAS contributes in the erection of a global and autonomous sports legal order. This support is the result of a double contribution, normative as well as structuring. First, the pretorian rules generated by CAS constitute a source of law within the sports legal order and a factor of his autonomy. Thereafter, the application of this rules for the whole sport community promotes the coherence of the system.
Article :
Organe juridictionnel quasi exclusif du mouvement sportif international, le TAS[i] a pour première vocation de résoudre les litiges sportifs par la voie de l’arbitrage. Le centre lausannois va cependant au-delà de cette fonction traditionnelle de tout juge, pour exercer une fonction jurisprudentielle. Les arbitres ne se contentent effectivement pas de donner une issue aux litiges qui leur sont soumis, mais produisent à partir de l’ensemble des solutions qu’ils prononcent un corps jurisprudentiel. À travers cette jurisprudence, l’institution arbitrale contribue à l’émergence d’un ordre juridique sportif transnational. Cette contribution est le résultat de deux processus étroitement liés : une action normative et une action structurante.
L’analyse de l’action normative part du constat de l’existence d’une jurisprudence arbitrale sportive. Le TAS a dans ce sens su remédier à la principale limite qui, généralement, empêche la formation d’une jurisprudence arbitrale, en l’occurrence, l’absence d’une autorité supérieure capable d’unifier les solutions. En matière sportive, la cohérence des sentences a pu être réalisée grâce à la règle du précédent[ii], qui constitue un trait caractéristique de la pratique du TAS, et le principal facteur de l’existence d’une jurisprudence arbitrale sportive.
Cette œuvre jurisprudentielle constitue une source du droit transnational sportif, également appelé lex sportiva[iii]. Ces règles prétoriennes sont constituées par les principes généraux constamment cités par les arbitres, lesquels principes peuvent être propres au droit sportif[iv] ou bien puisés dans le droit étatique[v]. L’intervention de ces derniers dépend d’une méthode de sélection, dans la mesure où les arbitres ne recourent qu’aux principes qui sont compatibles avec les impératifs sportifs[vi]. Leur application répétée par les arbitres aboutit à leur incorporation dans l’ordre juridique du sport, où ils finissent par être présentés comme des principes sportifs[vii]. Les principes propres au doit sportif sont quant à eux tirés d’une étude comparative des textes sportifs et visent à protéger la compétition. Leur application témoigne du pouvoir créateur de l’arbitre, puisqu’ils sont révélés après un effort de systématisation, d’abstraction et de généralisation de plusieurs textes.
Certains de ces principes forment l’ordre public du sport, que le TAS protège en évinçant les règles étatiques qui le contredisent[viii]. Il y a là une manifestation de la tendance des arbitres à appliquer prioritairement les règles sportives[ix], tendance justifiée par l’inadaptation du droit étatique à la spécificité de l’activité sportive, en l’occurrence, son caractère transnational et la nécessité de garantir l’égalité des chances entre les sportifs[x]. Cette application quasi exclusive des normes sportives renforce l’autonomie formelle du droit sportif. Celle-ci est doublée d’une autonomie matérielle, réalisée grâce à la défense par les arbitres des concepts propres à la lex sportiva, à l’instar de la responsabilité objective des clubs du fait de leurs supporters[xi] et de la nationalité sportive[xii].
Les principes généraux appliqués par les arbitres représentent un élément unificateur qui harmonise les règles et les pratiques au sein du monde sportif, assurant ainsi la structuration du système. Celle-ci résulte de leur application pour contrôler l’exercice que font les instances sportives de leurs pouvoirs et pour réguler les rapports que ces dernières lient entre elles. Dans les deux cas, ces principes deviennent des standards communs qui s’imposent à l’ensemble de la communauté sportive. Les arbitres les érigent ainsi en normes supérieures qui doivent impérativement guider l’activité des acteurs sportifs. Ce faisant, le TAS établit une hiérarchie normative qui permet d’assurer la cohérence du système sportif.
La révision des décisions prises par les associations sportives en matière règlementaire est l’occasion pour le TAS de leur rappeler la nécessité d’agir dans le respect des garanties fondamentales, tels les principes de légalité[xiii], de sécurité juridique[xiv] et de bonne foi[xv]. De même, l’exercice du pouvoir disciplinaire est soumis au respect des droits de la défense[xvi], du principe de légalité des peines[xvii], du principe de l’interdiction de la double peine[xviii] et du principe de proportionnalité de la sanction[xix].
Outre ce premier aspect de la contribution structurante du TAS, celle-ci apparait également au niveau de sa jurisprudence relative à la délimitation des pouvoirs des institutions sportives.
Ainsi, lorsqu’il intervient pour résoudre les litiges mettant en cause les compétences respectives du Comité international olympique, des comités nationaux olympiques et des fédérations internationales, le TAS affirme que les Jeux olympiques doivent être soumis aux règles édictées par le Comité international olympique[xx], lequel détient également la compétence de sanctionner les violations commises pendant les Jeux[xxi]. Aussi, seuls les comités nationaux olympiques sont compétents pour inscrire les sportifs aux épreuves olympiques[xxii], alors que les fédérations internationales sont chargées du contrôle et de la direction technique des compétitions de leur sport[xxiii] et de l’élaboration du classement final[xxiv]. Ce contentieux a de même été l’occasion pour le TAS de confirmer le principe de l’autonomie des fédérations internationales dans l’administration de leur sport[xxv].
Lorsqu’il est appelé à délimiter les pouvoirs des fédérations internationales, d’un côté, et ceux des comités nationaux olympiques ou des fédérations nationales, d’un autre côté, le TAS affirme que les organisations internationales et nationales sont compétentes pour gérer et réglementer respectivement les compétitions internationales et les compétitions nationales. En vertu de cette répartition, les fédérations internationales sont interdites de s’immiscer dans les affaires internes des instances nationales[xxvi] et leurs règles n’ont pas vocation à s’appliquer aux compétitions nationales. Néanmoins, en cas de contradiction, la réglementation internationale prime sur les règles de l’organisation nationale[xxvii], et ce même si ces dernières sont inspirées du droit étatique de son siège[xxviii].
Au niveau des rapports entre les fédérations internationales et les fédérations nationales, cette prééminence des règlements internationaux implique certaines conséquences, comme le droit de l’organisation internationale de contrôler les décisions prises par les associations nationales. Ce droit est matérialisé par deux prérogatives : la possibilité pour la fédération internationale de revoir les décisions nationales[xxix] et de les contester devant le TAS. Ainsi, la fédération peut se saisir de l’affaire pour réformer la sanction décidée au niveau national et contraire à ses règlements, même si elle est prononcée par une instance étatique en application de la loi nationale[xxx]. De même, elle peut attaquer cette décision devant le TAS, en dépit du fait qu’elle n’ait pas été partie au litige[xxxi] ou que le droit du siège de la fédération nationale interdise le recours à l’arbitrage[xxxii].
Grâce à leur application par le TAS, ces principes deviennent des règles communes aux ordres juridiques fédéraux et à l’ordre juridique olympique, ce qui crée un facteur d’unité permettant à ces derniers de dépasser leurs particularités pour se fondre dans un ordre juridique unique et global.
[i] Pour une présentation du TAS, V. Gilbert SCHWAAR, « La solution des conflits par l’arbitrage. Le Tribunal arbitral du sport », RJES, n°6, 1988, p 93 ; Mathieu REEB, « Le Tribunal arbitral du sport : son histoire et son fonctionnement », JDI, 2001, p 234.
[ii] CAS 2008/A/1545, Anderson & al./CIO, sentence finale du 16 juillet 2010, JDI, 2011, p 179, §118, note Éric LOQUIN ; Rev. arb., 2010, p 628, note Mathieu MAISONNEUVE (la formation parle de « substantial precedential value » des sentences).
[iii] Sur cette notion, V. Franck LATTY, La lex sportiva. Recherche sur le droit transnational, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2007.
[iv] CAS 2008/O/1455, Boxing Australia/AIBA, 16 avril 2008, www.tas-cas.org, §42 ; Rev. arb., 2008, p 567, note Cécile CHAUSSARD.
[v] TAS 2000/A/289, UCI/C. & FFC, 12 janvier 2001, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS II 1998-2000, Kluwer Law International, La Haye, 2002, p 427, §7.
[vi] L’exemple le plus significatif peut être trouvé dans le principe nulla poena sine culpa. Ce principe ne s’applique pas à la sanction sportive du dopage (disqualification) car « une application trop littérale d[e][ce] principe […] pourrait avoir des conséquences néfastes sur l’efficacité des mesures antidopage. En effet, si, pour chaque cas, les fédérations sportives devaient prouver le caractère intentionnel de l’acte (volonté de se doper pour améliorer ses performances) pour pouvoir l’ériger en infraction, la lutte contre le dopage deviendrait pratiquement impossible » (TAS 95/141, Chagnaud/FINA, 22 avril 1996, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, Berne, Staempfli, 1998, p 210, §13 ; JDI, 2001, p 282, note Gérald SIMON). Toutefois, lorsqu’il s’agit de sanctions disciplinaires, « il est généralement admis que le principe nulla poena sine culpa s’applique sans exception » (TAS 2007/O/1381, RFEC & Alejandro Valverde/UCI, 26 septembre 2007, JDI, 2009, p 225, §68, note Éric LOQUIN ; Rev. arb., 2008, p 562, note Marc PELTIER.).
[vii] CAS 98/200, AEK Athens & SK Slavia Prague/UEFA, 20 août 1999, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS II, op. cit., p 103, §158 (le principe de l’équité procédurale est « surely among the unwritten principles of sports law to be complied with by international federations ».
[viii] CAS 94/129, USA Shooting & Quigley/UIT, 23 mai 1995, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., pp 193-194, §16.
[ix] CAS 2011/A/2678, IAAF/RFEA & Francisco Fernàndez Pelaez, 17 avril 2012, Bull. TAS, n°2, 2012, p 125.
[x] TAS 2005/A/983, Club Atletico Peñarol/Suarez & PSG, 12 juillet 2006, Cah. dr. sport, n°8, 2007, p 217, §68, note Fabrice RIZZO ; JDI, 2010, p 208, note Éric LOQUIN (§24).
[xi] TAS 2002/A/423, PSV Eindhoven/UEFA, 3 juin 2003, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS III 2001-2003, Kluwer Law International, La Haye, 2004, p 522 ; JDI, 2004, p 295, note Éric LOQUIN.
[xii] TAS 92/80, Beeuwsaert/FIBA, 25 mars 1993, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 292, §13 ; JDI, 2001, p 242, note Gérald SIMON.
[xiii] CAS 2008/A/1705, Grasshopper/Alianza Lima, 18 juin 2009, www.tas-cas.org, §25.
[xiv] CAS 95/122, NWBA/IPC, 5 mars 1996, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., pp 183-184, §34.
[xv] CAS 96/153, Watt/ACF & Sharman, 22 juillet 1996, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., pp 346-349, §26.
[xvi] CAS 2001/A/317, Aanes/FILA, 9 juillet 2001, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS III, op. cit., p 162, §6.
[xvii] TAS 2009/A/1935, FRMF/FIFA, 12 novembre 2009, JDI, 2010, p 272, §98, note Éric LOQUIN ; Rev arb., 2010, p 606, note Marc PELTIER.
[xviii] CAS 2011/O/2422, USOC/CIO, 4 octobre 2011, www.tas-cas.org, §8.36 ; Cah. dr. sport, n°25, 2011, p 9, note Jean-Michel MARMAYOU.
[xix] TAS 2016/A/4474, Michel Platini/FIFA, 16 septembre 2016, Cah. dr. sport, n°46, 2017, p 65, §356, note Hanène BEN ABDALLAH.
[xx] TAS 95/144, COE, 21 décembre 1995, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 510, §6.
[xxi] CAS OG 96/002, A. W. & L./CNO du Cap-Vert, 27 juillet 1996, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 392, §9.
[xxii] CAS OG 02/003, Bassani-Antivari/CIO, 12 février 2002, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS III, op. cit., p 590, §33 ; JDI, 2003, p 287, note Dominique HASCHER (§4.16).
[xxiii] CAS 2008/A/1545, Anderson & al./CIO, sentence partielle 8 décembre 2009, www.tas-cas.org, §35.
[xxiv] Ibid, §31.
[xxv] TAS 94/128, UCI & CONI, 5 janvier 1995, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 487, §19.
[xxvi] CAS OG 08/003, Rainer Schuettler/ITF, 4 août 2008, www.tas-cas.org, §10.
[xxvii] TAS 94/128, 5 janvier 1995, CONI & UCI, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 482, §§ 11 & 21.
[xxviii] 2005/A/872, UCI/Muñoz Fernandez & FCC, 30 janvier 2006, www.doping.nl, §2.13.
[xxix] CAS 2011/A/2678, IAAF/RFEA & Francisco Fernàndez Pelaez, 17 avril 2012, Bull. TAS, n°2, 2012, p 126.
[xxx] TAS 98/214, Bouras/FIJ, 17 mars 1999, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS II, op. cit, p 299, §8 ; JDI, 2002, p 336, note Gérald SIMON.
[xxxi] TAS 97/175, UCI/A., 15 avril 1998, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS II, op. cit., p 150, §4 ; JDI, 2002, p 330, note Éric LOQUIN.
[xxxii] TAS 2006/A/1119, UCI/Iñigo Landaluze Intxaurraga & RFEC, 19 décembre 2006, JDI, 2008, p 240, §21, note Éric LOQUIN.
Organe juridictionnel quasi exclusif du mouvement sportif international, le TAS[i] a pour première vocation de résoudre les litiges sportifs par la voie de l’arbitrage. Le centre lausannois va cependant au-delà de cette fonction traditionnelle de tout juge, pour exercer une fonction jurisprudentielle. Les arbitres ne se contentent effectivement pas de donner une issue aux litiges qui leur sont soumis, mais produisent à partir de l’ensemble des solutions qu’ils prononcent un corps jurisprudentiel. À travers cette jurisprudence, l’institution arbitrale contribue à l’émergence d’un ordre juridique sportif transnational. Cette contribution est le résultat de deux processus étroitement liés : une action normative et une action structurante.
L’analyse de l’action normative part du constat de l’existence d’une jurisprudence arbitrale sportive. Le TAS a dans ce sens su remédier à la principale limite qui, généralement, empêche la formation d’une jurisprudence arbitrale, en l’occurrence, l’absence d’une autorité supérieure capable d’unifier les solutions. En matière sportive, la cohérence des sentences a pu être réalisée grâce à la règle du précédent[ii], qui constitue un trait caractéristique de la pratique du TAS, et le principal facteur de l’existence d’une jurisprudence arbitrale sportive.
Cette œuvre jurisprudentielle constitue une source du droit transnational sportif, également appelé lex sportiva[iii]. Ces règles prétoriennes sont constituées par les principes généraux constamment cités par les arbitres, lesquels principes peuvent être propres au droit sportif[iv] ou bien puisés dans le droit étatique[v]. L’intervention de ces derniers dépend d’une méthode de sélection, dans la mesure où les arbitres ne recourent qu’aux principes qui sont compatibles avec les impératifs sportifs[vi]. Leur application répétée par les arbitres aboutit à leur incorporation dans l’ordre juridique du sport, où ils finissent par être présentés comme des principes sportifs[vii]. Les principes propres au doit sportif sont quant à eux tirés d’une étude comparative des textes sportifs et visent à protéger la compétition. Leur application témoigne du pouvoir créateur de l’arbitre, puisqu’ils sont révélés après un effort de systématisation, d’abstraction et de généralisation de plusieurs textes.
Certains de ces principes forment l’ordre public du sport, que le TAS protège en évinçant les règles étatiques qui le contredisent[viii]. Il y a là une manifestation de la tendance des arbitres à appliquer prioritairement les règles sportives[ix], tendance justifiée par l’inadaptation du droit étatique à la spécificité de l’activité sportive, en l’occurrence, son caractère transnational et la nécessité de garantir l’égalité des chances entre les sportifs[x]. Cette application quasi exclusive des normes sportives renforce l’autonomie formelle du droit sportif. Celle-ci est doublée d’une autonomie matérielle, réalisée grâce à la défense par les arbitres des concepts propres à la lex sportiva, à l’instar de la responsabilité objective des clubs du fait de leurs supporters[xi] et de la nationalité sportive[xii].
Les principes généraux appliqués par les arbitres représentent un élément unificateur qui harmonise les règles et les pratiques au sein du monde sportif, assurant ainsi la structuration du système. Celle-ci résulte de leur application pour contrôler l’exercice que font les instances sportives de leurs pouvoirs et pour réguler les rapports que ces dernières lient entre elles. Dans les deux cas, ces principes deviennent des standards communs qui s’imposent à l’ensemble de la communauté sportive. Les arbitres les érigent ainsi en normes supérieures qui doivent impérativement guider l’activité des acteurs sportifs. Ce faisant, le TAS établit une hiérarchie normative qui permet d’assurer la cohérence du système sportif.
La révision des décisions prises par les associations sportives en matière règlementaire est l’occasion pour le TAS de leur rappeler la nécessité d’agir dans le respect des garanties fondamentales, tels les principes de légalité[xiii], de sécurité juridique[xiv] et de bonne foi[xv]. De même, l’exercice du pouvoir disciplinaire est soumis au respect des droits de la défense[xvi], du principe de légalité des peines[xvii], du principe de l’interdiction de la double peine[xviii] et du principe de proportionnalité de la sanction[xix].
Outre ce premier aspect de la contribution structurante du TAS, celle-ci apparait également au niveau de sa jurisprudence relative à la délimitation des pouvoirs des institutions sportives.
Ainsi, lorsqu’il intervient pour résoudre les litiges mettant en cause les compétences respectives du Comité international olympique, des comités nationaux olympiques et des fédérations internationales, le TAS affirme que les Jeux olympiques doivent être soumis aux règles édictées par le Comité international olympique[xx], lequel détient également la compétence de sanctionner les violations commises pendant les Jeux[xxi]. Aussi, seuls les comités nationaux olympiques sont compétents pour inscrire les sportifs aux épreuves olympiques[xxii], alors que les fédérations internationales sont chargées du contrôle et de la direction technique des compétitions de leur sport[xxiii] et de l’élaboration du classement final[xxiv]. Ce contentieux a de même été l’occasion pour le TAS de confirmer le principe de l’autonomie des fédérations internationales dans l’administration de leur sport[xxv].
Lorsqu’il est appelé à délimiter les pouvoirs des fédérations internationales, d’un côté, et ceux des comités nationaux olympiques ou des fédérations nationales, d’un autre côté, le TAS affirme que les organisations internationales et nationales sont compétentes pour gérer et réglementer respectivement les compétitions internationales et les compétitions nationales. En vertu de cette répartition, les fédérations internationales sont interdites de s’immiscer dans les affaires internes des instances nationales[xxvi] et leurs règles n’ont pas vocation à s’appliquer aux compétitions nationales. Néanmoins, en cas de contradiction, la réglementation internationale prime sur les règles de l’organisation nationale[xxvii], et ce même si ces dernières sont inspirées du droit étatique de son siège[xxviii].
Au niveau des rapports entre les fédérations internationales et les fédérations nationales, cette prééminence des règlements internationaux implique certaines conséquences, comme le droit de l’organisation internationale de contrôler les décisions prises par les associations nationales. Ce droit est matérialisé par deux prérogatives : la possibilité pour la fédération internationale de revoir les décisions nationales[xxix] et de les contester devant le TAS. Ainsi, la fédération peut se saisir de l’affaire pour réformer la sanction décidée au niveau national et contraire à ses règlements, même si elle est prononcée par une instance étatique en application de la loi nationale[xxx]. De même, elle peut attaquer cette décision devant le TAS, en dépit du fait qu’elle n’ait pas été partie au litige[xxxi] ou que le droit du siège de la fédération nationale interdise le recours à l’arbitrage[xxxii].
Grâce à leur application par le TAS, ces principes deviennent des règles communes aux ordres juridiques fédéraux et à l’ordre juridique olympique, ce qui crée un facteur d’unité permettant à ces derniers de dépasser leurs particularités pour se fondre dans un ordre juridique unique et global.
[i] Pour une présentation du TAS, V. Gilbert SCHWAAR, « La solution des conflits par l’arbitrage. Le Tribunal arbitral du sport », RJES, n°6, 1988, p 93 ; Mathieu REEB, « Le Tribunal arbitral du sport : son histoire et son fonctionnement », JDI, 2001, p 234.
[ii] CAS 2008/A/1545, Anderson & al./CIO, sentence finale du 16 juillet 2010, JDI, 2011, p 179, §118, note Éric LOQUIN ; Rev. arb., 2010, p 628, note Mathieu MAISONNEUVE (la formation parle de « substantial precedential value » des sentences).
[iii] Sur cette notion, V. Franck LATTY, La lex sportiva. Recherche sur le droit transnational, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2007.
[iv] CAS 2008/O/1455, Boxing Australia/AIBA, 16 avril 2008, www.tas-cas.org, §42 ; Rev. arb., 2008, p 567, note Cécile CHAUSSARD.
[v] TAS 2000/A/289, UCI/C. & FFC, 12 janvier 2001, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS II 1998-2000, Kluwer Law International, La Haye, 2002, p 427, §7.
[vi] L’exemple le plus significatif peut être trouvé dans le principe nulla poena sine culpa. Ce principe ne s’applique pas à la sanction sportive du dopage (disqualification) car « une application trop littérale d[e][ce] principe […] pourrait avoir des conséquences néfastes sur l’efficacité des mesures antidopage. En effet, si, pour chaque cas, les fédérations sportives devaient prouver le caractère intentionnel de l’acte (volonté de se doper pour améliorer ses performances) pour pouvoir l’ériger en infraction, la lutte contre le dopage deviendrait pratiquement impossible » (TAS 95/141, Chagnaud/FINA, 22 avril 1996, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, Berne, Staempfli, 1998, p 210, §13 ; JDI, 2001, p 282, note Gérald SIMON). Toutefois, lorsqu’il s’agit de sanctions disciplinaires, « il est généralement admis que le principe nulla poena sine culpa s’applique sans exception » (TAS 2007/O/1381, RFEC & Alejandro Valverde/UCI, 26 septembre 2007, JDI, 2009, p 225, §68, note Éric LOQUIN ; Rev. arb., 2008, p 562, note Marc PELTIER.).
[vii] CAS 98/200, AEK Athens & SK Slavia Prague/UEFA, 20 août 1999, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS II, op. cit., p 103, §158 (le principe de l’équité procédurale est « surely among the unwritten principles of sports law to be complied with by international federations ».
[viii] CAS 94/129, USA Shooting & Quigley/UIT, 23 mai 1995, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., pp 193-194, §16.
[ix] CAS 2011/A/2678, IAAF/RFEA & Francisco Fernàndez Pelaez, 17 avril 2012, Bull. TAS, n°2, 2012, p 125.
[x] TAS 2005/A/983, Club Atletico Peñarol/Suarez & PSG, 12 juillet 2006, Cah. dr. sport, n°8, 2007, p 217, §68, note Fabrice RIZZO ; JDI, 2010, p 208, note Éric LOQUIN (§24).
[xi] TAS 2002/A/423, PSV Eindhoven/UEFA, 3 juin 2003, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS III 2001-2003, Kluwer Law International, La Haye, 2004, p 522 ; JDI, 2004, p 295, note Éric LOQUIN.
[xii] TAS 92/80, Beeuwsaert/FIBA, 25 mars 1993, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 292, §13 ; JDI, 2001, p 242, note Gérald SIMON.
[xiii] CAS 2008/A/1705, Grasshopper/Alianza Lima, 18 juin 2009, www.tas-cas.org, §25.
[xiv] CAS 95/122, NWBA/IPC, 5 mars 1996, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., pp 183-184, §34.
[xv] CAS 96/153, Watt/ACF & Sharman, 22 juillet 1996, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., pp 346-349, §26.
[xvi] CAS 2001/A/317, Aanes/FILA, 9 juillet 2001, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS III, op. cit., p 162, §6.
[xvii] TAS 2009/A/1935, FRMF/FIFA, 12 novembre 2009, JDI, 2010, p 272, §98, note Éric LOQUIN ; Rev arb., 2010, p 606, note Marc PELTIER.
[xviii] CAS 2011/O/2422, USOC/CIO, 4 octobre 2011, www.tas-cas.org, §8.36 ; Cah. dr. sport, n°25, 2011, p 9, note Jean-Michel MARMAYOU.
[xix] TAS 2016/A/4474, Michel Platini/FIFA, 16 septembre 2016, Cah. dr. sport, n°46, 2017, p 65, §356, note Hanène BEN ABDALLAH.
[xx] TAS 95/144, COE, 21 décembre 1995, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 510, §6.
[xxi] CAS OG 96/002, A. W. & L./CNO du Cap-Vert, 27 juillet 1996, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 392, §9.
[xxii] CAS OG 02/003, Bassani-Antivari/CIO, 12 février 2002, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS III, op. cit., p 590, §33 ; JDI, 2003, p 287, note Dominique HASCHER (§4.16).
[xxiii] CAS 2008/A/1545, Anderson & al./CIO, sentence partielle 8 décembre 2009, www.tas-cas.org, §35.
[xxiv] Ibid, §31.
[xxv] TAS 94/128, UCI & CONI, 5 janvier 1995, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 487, §19.
[xxvi] CAS OG 08/003, Rainer Schuettler/ITF, 4 août 2008, www.tas-cas.org, §10.
[xxvii] TAS 94/128, 5 janvier 1995, CONI & UCI, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS 1986-1998, op. cit., p 482, §§ 11 & 21.
[xxviii] 2005/A/872, UCI/Muñoz Fernandez & FCC, 30 janvier 2006, www.doping.nl, §2.13.
[xxix] CAS 2011/A/2678, IAAF/RFEA & Francisco Fernàndez Pelaez, 17 avril 2012, Bull. TAS, n°2, 2012, p 126.
[xxx] TAS 98/214, Bouras/FIJ, 17 mars 1999, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS II, op. cit, p 299, §8 ; JDI, 2002, p 336, note Gérald SIMON.
[xxxi] TAS 97/175, UCI/A., 15 avril 1998, in Mathieu REEB (éd.), Recueil des sentences du TAS II, op. cit., p 150, §4 ; JDI, 2002, p 330, note Éric LOQUIN.
[xxxii] TAS 2006/A/1119, UCI/Iñigo Landaluze Intxaurraga & RFEC, 19 décembre 2006, JDI, 2008, p 240, §21, note Éric LOQUIN.

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